lundi 10 février 2014

"Bouillon de culture"

  Un  très beau texte de Bernard Pivot
Extrait de son livre paru  en avril 2011
Les mots de ma vie ! ...



Vieillir,  c’est chiant. J’aurais pu dire : vieillir, c’est désolant, c’est  insupportable, c’est douloureux, c’est horrible, c’est déprimant, c’est  mortel.        Mais  j’ai préféré « chiant » parce que c’est un adjectif vigoureux qui ne fait  pas  triste.        Vieillir,  c’est chiant parce qu’on ne sait pas quand ça a commencé et l’on sait  encore moins quand ça  finira.        Non,  ce n’est pas vrai qu’on vieillit dès notre  naissance.        On  a été longtemps si frais, si jeune, si  appétissant.        On  était bien dans sa  peau.        On  se sentait conquérant. Invulnérable. La vie devant soi. Même à cinquante  ans, c’était encore très bien. Même à soixante. Si, si, je vous assure,  j’étais encore plein de muscles, de projets, de désirs, de  flamme.        Je  le suis toujours, mais voilà, entre-temps j’ai vu le regard des jeunes,  des hommes et des femmes dans la force de l’âge qu’ils ne me considéraient  plus comme un des leurs, même apparenté, même à la marge. J’ai lu dans  leurs yeux qu’ils n’auraient plus jamais d’indulgence à mon égard. Qu’ils  seraient polis, déférents, louangeurs, mais  impitoyables.        Sans  m’en rendre compte, j’étais entré dans l’apartheid de l’âge. Le plus  terrible est venu des dédicaces des écrivains, surtout des débutants.  “Avec respect”, “En hommage respectueux”, “Avec mes sentiments très  respectueux”. Les salauds! Ils croyaient probablement me faire plaisir en  décapuchonnant leur stylo plein de respect? Les cons! Et du « cher  Monsieur Pivot » long et solennel comme une citation à l’ordre des Arts et  Lettres qui vous fiche dix ans de plus  !        Un  jour, dans le métro, c’était la première fois, une jeune fille s’est levée  pour me donner sa place. J’ai failli la gifler. Puis la priant de se  rasseoir, je lui ai demandé si je faisais vraiment vieux, si je lui étais  apparu  fatigué.        --  “Non, non, pas du tout, a-t-elle répondu, embarrassée. J’ai pensé  que”…        --  Moi aussitôt : «Vous pensiez  que…?        --  “Je pensais, je ne sais pas, je ne sais plus, que ça vous ferait plaisir  de vous  asseoir”.        –  “Parce que j’ai les cheveux  blancs”?        –  “Non, c’est pas ça, je vous ai vu debout et comme vous êtes plus âgé que  moi, çà été un réflexe, je me suis  levée”…        --  “Je parais beaucoup beaucoup plus âgé que  vous”?        –"Non,  oui, enfin un peu, mais ce n’est pas une question  d’âge”…        --  “Une question de quoi,  alors?”        –  “Je ne sais pas, une question de politesse, enfin je  crois”…»        J’ai  arrêté de la taquiner, je l’ai remerciée de son geste généreux et l’ai  accompagnée à la station où elle descendait pour lui offrir un  verre.        Lutter  contre le vieillissement c’est, dans la mesure du possible, ne renoncer à  rien. Ni au travail, ni aux voyages, ni aux spectacles, ni aux livres, ni  à la gourmandise, ni à l’amour, ni au  rêve.        Rêver,  c’est se souvenir tant qu’à faire, des heures exquises. C’est penser aux  jolis rendez-vous qui nous  attendent.        C’est  laisser son esprit vagabonder entre le désir et  l’utopie.        La  musique est un puissant excitant du rêve. La musique est une drogue douce.  J’aimerais mourir, rêveur, dans un fauteuil en écoutant soit l’adagio du  Concerto no 23 en la majeur de Mozart, soit, du même, l’andante de son  Concerto no 21 en ut majeur, musiques au bout desquelles se révéleront à  mes yeux pas même étonnés les paysages sublimes de  l’au-delà.        Mais  Mozart et moi ne sommes pas  pressés.        Nous  allons prendre notre temps. Avec l’âge le temps passe, soit trop vite,  soit trop lentement. Nous ignorons à combien se monte encore notre  capital. En années? En mois? En jours? Non, il ne faut pas considérer le  temps qui nous reste comme un capital. Mais comme un usufruit dont, tant  que nous en sommes capables, il faut jouir sans modération. Après nous, le  déluge? Non,  Mozart.        Voilà,  ceci est bien écrit, mais cela est le lot de tous, nous vieillissons  !...        Bien  ou mal, mais le poids des ans donne de son joug au  quotidien.


LLB -




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